Vendredi 17 juillet vers Ürümqi
Jour 25

Ce matin, je n'ai envie de rien... ni de lire, ni de faire du chinois, ni de faire mes bagages... alors je vais à la fenêtre observer les recycleurs de déchets.

Ils sont justement en train de traiter des métaux avec une espèce de moule à gaufres électrique qui leur permet de compresser le métal... ils ont donc un équipement malgré la pauvreté générale du lieu. Il en sort un long cube de métal que ne renierait pas César et qui est déposé sur une pile déjà constituée, puis les déchets non métalliques qui dépassent, sont brûlés.
Dans la salle de bain, le tuyau d'évacuation en plastique du lavabo s'est détaché, si bien que lorsque j'ouvre les robinets l'eau s'écoule sur le sol me gratifiant en même temps d'un vigoureux bain de pied. Ce n'est pas le premier hôtel où ça arrive mais pour un hôtel neuf, c'est étonnant. Leur plomberie n'est pas au point, leurs toilettes non plus, je suis chaque fois angoissée lorsque j'actionne la chasse d'eau car elles ne sont souvent pas assez puissantes pour tout évacuer et elles me laissent parfois dans le plus grand des embarras. Lorsqu’elles fonctionnent bien j'ai le cœur inondé de joie....
On a les petits bonheurs qu'on peut !

Le mieux, pour lutter contre la morosité c'est de s'offrir un bon petit déjeuner et de reprendre la route. Je vais donc tester le Saint John’s café de l'hôtel Tulufan et, bonne surprise, on déjeune dehors sous une treille. Je suis la seule cliente.
J'observe 4 femmes louer et tester des vélos lorsqu'une énorme chenille de la taille d'une souris tombe de la treille... heureusement elle s'écrase sur le sol et pas dans mon café !
Mm... Du beurre, du miel, des toasts, c'est le grand luxe dans un joli endroit.
Je pars boucler mes bagages pour prendre le car pour Urumqi qui part aussitôt. Le car est confortable.
Le voyage ne dure que 2 heures 30, grâce à l'autoroute.

Le paysage est tellement étrange que je ne vois pas passer le temps.

Pendant longtemps on roule dans un désert plat avec des petites montagnes à l'horizon qui se rapprochent de plus en plus,

on finit par des gorges, au loin, sur ma droite, des montagnes enneigées surgissent, puis sur la gauche également, ce sont les Tian shan... c'est un contraste saisissant de déserts et de cimes enneigées.

De longs tuyaux blancs sont disposés régulièrement sur les côtés de la route, j'imagine que c'est la construction d'un pipeline pour acheminer le pétrole, mais je finis par comprendre que ce sont des mâts d’éoliennes, j'en vois en construction, d'immenses champs à perte de vue… Qu'on ne dise plus que les Chinois ne se soucient pas d'écologie !

Peu à peu la verdure réapparaît d'abord timidement, le car continue sur une plaine verdoyante où paissent des vaches, des moutons, des chevaux et même des chameaux, des vrais, ceux-là ne sont pas apprêtés pour les touristes comme à Dunhuang !

Au bout de 2 heures, le car fait une pause, il fait frais, si frais que je pense que l'altitude est élevée, un petit vent frais m'empêche d'allumer ma cigarette. Je demande à quelqu'un s'il connaît l'altitude, il me répond "lingxia..." et, avec des gestes il me dessine une cuvette : il est en train de m'expliquer que nous sommes toujours dans la dépression de Turfan. Je suis très étonnée.

Nous reprenons la route, ça devient très vert avec des arbres puis,

Urumqi apparaît entourée de montagnes, le moral est revenu, cette ville semble moins laide que je ne pensais, elle est très colorée.
vendredi 17 juillet Ürümqi
Jour 25 (suite)
Je descends dans l'hôtel conseillé par lonely planet. Au moment de monter dans un taxi pour l'hôtel "Kong Que Dasha", le chauffeur qui ne comprenait rien à ce que je lui indiquais, me prend le LP des mains et, avec l'index, lit le nom de l'hôtel pourtant inscrit en caractères latins. Je suis sidérée, j'ai vérifié, il n'y avait pas de transcription en chinois.
Ce que j'avais lu est donc bien vrai : avant, les Ouïghours utilisaient l'écriture latine et ce sont les Hans, (une mesure de Deng Xiao Ping) qui leur ont imposé l'écriture arabe parce que ça éfavorisait leurs enfants dans l'apprentissage de l’anglais. Ça paraît énorme mais le chauffeur de taxi, un vieil homme, a lu sans hésitation et a tout de suite su où je voulais aller.
Cela me rappelle le chauffeur de Turfan qui ne savait pas lire le chinois.

Ici tout est bilingue : écriture chinoise et arabe parfois s'y ajoute le russe.
Je commence à comprendre le ressentiment des turcophones : les Hans ont tout colonisé, ils ont construit des quartiers à leur image et se comportent en vrais colons. Les besognes les plus sales sont réservées aux Ouïghours.
Je me sens de nouveau en forme et j'ai presque envie de pousser jusqu'au nord, vers l'Altaï et la frontière russe.
La police et l'armée quadrillent la ville, des camions de l'armée remplis de soldats, mitraillette au poing sillonnent la ville.
Les contrôles sont nombreux, je dois souvent montrer mon passeport, mais je vois bien que je ne les inquiète pas, c'est juste de la curiosité. Il n'y a aucune agressivité dirigée envers moi comme à Lanzhou.

Je vois passer une brigade vêtue de noir portant dans le dos l'inscription "police" en caractère latin, je me demande d'où ils sortent.
Je prends un risque énorme, il ne faut surtout pas prendre de photos

La ville à l'air très paisible, on a du mal à imaginer que 10 jours plus tôt il y a eu ici des émeutes sanglantes.
Cette ville me plaît beaucoup. Je crois que je vais y rester quelques jours. Comme je suis dans le quartier des Chinois Han, je m'y sens tout de suite plus à l'aise. Je mesure combien je me suis bien adaptée à la vie chinoise des Hans.
D’abord il y fait frais, ce n'est peut-être pas le cas, mais après la chaleur de Turpan, j'apprécie beaucoup.
Ensuite, la nourriture envahit à nouveau les rues, cuisine chinoise, turque, occidentale, c'est un vrai bonheur,

Au coin de la rue, il y a même un KFC. (quartier de Hong Shan)
Après un peu de repos, je sors pour visiter le musée du Xinjiang, je cherche le bus n°7 mais je ne le trouve pas, l'attraction du KFC est plus forte (il est 15 h et je n'ai pas encore déjeuné) J'y vais. Un policier à l'entrée contrôle les sacs.
Quel délice de manger une délicieuse escalope de poulet panée avec de la salade et de la mayonnaise !
Je ne fréquente jamais les fast food à Paris, mais en Chine je m'y précipite, trop heureuse de retrouver des produits occidentaux.
Cela me laisse le temps d'observer les gens. Les clients sont tous des Han. Des jeunes, tout à fait branchés, et qui ont les moyens.

Je m'attendais à trouver une ville de province misérable et sinistrée et je trouve une capitale moderne, dynamique, une ville propre et pas trop dégradée. Y a-t-il vraiment eu des émeutes ?

Les gens vont et viennent paisibles. Je pense qu'il ne doit pas en être de même dans les quartiers musulmans.
Je ne sais pas où ils se trouvent ni si c'est vrai qu'on ne peut pas y entrer.

En sortant du KFC j'entre dans un joli petit parc en restauration. Cette verdure est apaisante après tous ces voyages dans les déserts.
Dans un petit kiosque, 4 femmes s'initient à la valse, elles me sourient, je lève le pouce pour leur dire que c'est bien, elles m'invitent à les rejoindre, mais je dois aller au musée, dommage...

Je traîne encore un peu, observant les ouvriers rénover ce qui devait être une maison de thé,
et d'autres qui pavaient les chemins, si bien qu'à l'arrivée au musée, celui-ci était déjà fermé.
Pas de chance, je reviendrai demain.

Cette fois je trouve le bus 7 et je peux me débrouiller toute seule pour retourner à l'hôtel. Ici aussi, pas d'internet, les jeunes qui étaient présents au cybercafé venaient pour jouer. Je ne reçois plus ni SMS ni téléphone, c'est étonnant que ça ait pu fonctionner le premier jour, je me demande si le courrier postal fonctionne, mais le temps qu'une lettre arrive à Paris je ne serai probablement plus au Xinjiang.
Je mesure combien nous sommes devenus dépendants des communications.
J'écris beaucoup aujourd'hui, je pense que c'est pour compenser le manque de communication.
Ce carnet de voyage est mon seul lien... écrire, soulage.
Samedi 18 juillet Urumqi
Jour 26
Je ne sais pas si c’est psychosomatique, mais je ne cesse d’avoir de petits ennuis de santé, aujourd’hui c’est une lombalgie qui me raidit le dos et la fièvre revient. J’ai bêtement jeté les boîtes de médicaments, les croyant vides, alors qu’il restait une seconde plaquette.
A 8 heures j’étais pourtant prête devant le KFC pour un petit déj mais, il n’ouvre qu’à 10 heures. Je remarque qu’autour de moi, toutes les boutiques sont closes : la vie ici, ne commence qu’à 10 heures, heure de Pékin. Pékin est à plusieurs fuseaux horaires, donc le Xinjiang s’adapte en reculant les heures de travail : il fait jour jusqu’à 22 H 30. J’ai 2 heures à perdre…
En me baladant, je découvre un autre parc, également en travaux, Urumqi se fait une beauté. Le parc est rempli de monde, on y danse, on y joue au badminton, on y fait ses exercices quotidiens et plusieurs groupes font du taiji sous la direction d’un maître.

Celui que j’observe en pyjama de satin bleu pâle a une grâce, une élégance dans ses mouvements lents qu’aucun de ses disciples n’atteint.

A cette heure, toute la Chine s’agite dans les parcs ou dans la rue (même dans le couloir des trains) pour la gymnastique quotidienne. Les medias déversent des tonnes de propagande pour les inciter à se maintenir en forme. Comme ils sont de bons citoyens, de bons petits soldats, ils absorbent les slogans comme des buvards. Mais si certains y mettent beaucoup de conviction d’autres ont le geste mou, inachevé comme nos lycéennes lorsqu’elles ont décidé que la gym ne les intéressait pas !

Plus loin un parcours de santé propose plusieurs installations, j’en profite pour étirer mes vertèbres douloureuses mais ça ne me soulage pas.
Plus loin encore, sous un corridor, des gens dansent sur une musique orientale. Un vieux monsieur, sentant l’ail m’invite à danser, comme je refuse, il me tire par le bras pour que je le suive, il m’envoie son haleine à la figure, c’est assez désagréable, je ne comprends pas sa manière de parler… Mais il m’entraîne sur la piste, je vais être parfaitement ridicule, mais bon… allons-y. Il commence à esquisser quelques pas et c’est un danseur fabuleux. Je ne comprends rien à ses pas et je reste parfaitement immobile subjuguée… j’applaudis et je me sauve discrètement sans me retourner.
Tiens ! Un vendeur de livres d’occasion! Il y en a plein le sol parfaitement alignés. Je fouine et je tombe sur « Rêves dans un pavillon rouge » (autre grand classique) en bandes dessinées traditionnelles, quelle aubaine, il ne m’en coûte que 2 euros, encombrant mais pas trop lourd. Je ne comprends rien au texte de style trop précieux mais des dessins ravissants me donnent presque envie de les colorier !

Ce parc est interminable, les deux heures se sont écoulées agréablement. Après le KFC, je retourne au musée, bien ouvert cette fois et gratuit. On y trouve des objets provenant des fouilles de la région, dont plusieurs momies.

photo internet : la belle de Loulan
L’une d’elle « la belle de Loulan » est devenue un symbole pour les minorités du Xinjiang. Franchement j’ai du mal à trouver de la beauté dans une momie !

Une partie du musée est consacrée aux différentes ethnies avec des mises en scènes très plaisantes de leur environnement : Ouïghours, Kazakhs, Mongols, Kirkizhs, Russes etc. ce qui me frappe, c’est que toutes ces ethnies n’ont rien à voir avec la Chine mais s’apparentent plus à l’Asie Centrale, voire l’Europe centrale. Je comprends de plus en plus les ressentiments des Ouïghours d’avoir été envahis et dépossédés même si Pékin apporte des équipements… en profitent-ils vraiment, je crois que ces équipements servent uniquement aux Hans.
(photo internet)
J’ai découvert dans une vitrine une peinture de Fuxi et Nuwa (les premiers Chinois, un peu leur Adam et Eve) dont les corps de serpents s’entrelacent. Pénélope, notre professeur d’histoire nous l’avait montrée en diapo. Un gardien m’interdit de prendre des photos.
Les jardins du musée servent de base à l’armée, plusieurs brigades vont et viennent.
Et voilà ! le photographe s'est fait repérer.... ! photo internet
En ville, à certains carrefours, sous un parasol carré, quelques soldats scrutent, immobiles, chacun tourné vers un point cardinal différent, ça a de l’allure, je meurs d’envie de prendre une photo mais vraiment, je n’ose pas. Ces scruteurs sont disséminés un peu partout..
Retour à l’hôtel. J’ai acheté cette fois des abricots aussi bons que tous les autres fruits d’ici. Si je ne sais pas quoi manger je pourrai au moins me régaler de fruits.
A l’agence de voyage de l’hôtel, j’achète une excursion pour le Tian Chi (lac céleste). C’est un lac dans les Tian Shan à 2000 mètres d’altitude à 2 h 30 d’Urumqi.
Un couple de Français, l’un de Paris, l’autre de la Réunion et qui retournent sur Pékin, acceptent d’envoyer de là-bas quelques mails pour moi. Je me demande comment se débrouillent les hommes d’affaire sans internet. Comment fait l’agence pour réserver les billets ?
Ça peut tourner à la catastrophe économique. Les Français m’ont dit que les quartiers musulmans ne présentaient aucun intérêt, il vaut mieux attendre Kashgar.